Drill : Comment un courant du rap underground règne désormais sur les charts

9 octobre 2025

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La drill, du bitume de Chicago à la domination mondiale

Quand on regarde les tendances rap de ces dernières années, impossible d’ignorer la place grandissante – et franchement hégémonique – de la drill. Si à une époque, la trap et le rap old-school se disputaient la vedette, aujourd’hui, la drill a imposé son esthétique, son flow et son imagerie sur les playlists, les charts et même les tubes pop. Mais alors, comment ce sous-genre né dans la rue s’est-il imposé jusqu’au sommet ?

Retour sur une ascension express mais surtout, sur une mutation musicale qui redéfinit les codes du rap moderne.

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Origines et ADN de la drill : d’un cri de rue à bande-son mondiale

La drill, c’est d’abord l’histoire de Chicago. Début 2010, un son froid, noir, agressif, naît dans les quartiers Sud. Avec Chief Keef, Lil Durk ou King Von, la drill devient la bande-son de la réalité sociale la plus brute : violence urbaine, tension police/jeunes, économies souterraines.

Ce qui la caractérise ? Quelques ingrédients reconnaissables dès la première écoute :

  • Beats sombres, souvent lents mais puissants et martelés de 808 saturés, de charleys rapides et de samples rythmés.
  • Flows saccadés, atones, glacials, parfois plus scandés que réellement rappés.
  • Thèmes frontalement réalistes : la vie de rue, la survie, la défiance envers l’autorité, l’appartenance à un quartier ou à un crew.

À Chicago, le succès explose avec Chief Keef et le tube “I Don’t Like” en 2012 : Kanye West le reprend deux mois après sa sortie, signe fort du passage de la drill du ghetto aux grands studios (source : Pitchfork).

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L’internationalisation : la drill UK, nouvelle capitale du genre

Mais là où le phénomène devient véritablement global, c’est avec la drill britannique. À Londres, dès 2013-2015, des crews comme 67, Section Boyz, puis surtout Headie One, RV, ou encore Unknown T, reprennent la recette de Chicago avec une identité sonore propre.

  • Influences grime, accent anglais rugueux et accentuation du storytelling.
  • Producteurs stars : M1OnTheBeat, Ghosty ou encore 808Melo qui deviendra clé dans l'arrivée de la drill à New York.
  • Des chiffres qui parlent : Le Guardian estime que plus de 30% des titres rap classés au UK Official Charts en 2021 étaient identifiés comme drill (source : The Guardian).

La drill UK devient alors un véritable pont sonore entre Londres et New York, notamment grâce à Pop Smoke qui réunit producteurs anglais et rappeurs américains sur des hits massifs (“Dior”, “Welcome To The Party”).

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La drill débarque en France : adoption massive et hybridation

En France, la drill décolle franchement en 2019-2020 dans le sillage de la vague UK et US. Le phénomène est porté par une nouvelle génération d’artistes :

  • Gazo : son projet “Drill FR” explose sur Spotify et YouTube, dépassant les 200 millions de streams cumulés en moins d’un an (source : Booska-P).
  • Freeze Corleone, Ziak, 15Block, apportent une esthétique froide, masquée, visuelle très forte, un storytelling à la française et des prods travaillées main dans la main avec les beatmakers UK.
  • Lefa ou SCH flirtent aussi avec le genre sur certains titres.

Selon la SNEP (Syndicat National de l’Édition Phonographique), en 2022-2023, plus d’un titre rap sur cinq ayant dépassé les 10 millions de streams en France avait pour base une prod drill, preuve d’une adoption massive dans la scène hexagonale (SNEP).

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Pourquoi la drill explose-t-elle ? Les secrets d’une contagion musicale

Si la drill s’impose, c’est qu’elle parle à la génération des réseaux : immédiate, viscérale, hyper-identifiable, elle incarne une forme de rébellion et de noirceur stylisée qui fait mouche chez les jeunes.

  1. Simplicité et efficacité des prods : un “banger” drill, c’est souvent moins de deux minutes trente, une intro percutante, un refrain viral.
  2. Côté visuel/chiffres : Les clips drill, avec leurs couleurs glacées, leurs codes vestimentaires (phares : doudounes, masques, gangs), totalisent régulièrement plusieurs millions de vues dès leur sortie. Le clip “Haine&Sex” de Gazo et Damso a atteint 4,8 millions de vues en deux semaines en mars 2023 (YouTube).
  3. Mèmes et réseaux sociaux : Sur TikTok, la drill explose littéralement via des challenges, remixes et versions accélérées. Le hashtag #drill dépassait 7 milliards de vues mondiales en mai 2023 (source : TikTok Trends Report).
  4. Accessibilité pour les artistes : Grâce aux packs de samples partagés sur internet, tout MC peut tenter sa chance sur une prod drill et poster son freestyle en ligne – c’est le cas de nombre de nouveaux venus qui explosent localement avant de percer nationalement.

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Évolution de la drill : hybridations, mutations et pop culture

La drill est un mutant par excellence. Là où d’autres genres se sont figés dans leurs codes, elle évolue en permanence :

  • Drill mélodique ou “melodic drill” avec des refrains chantés ou autotunés, incarnée par Central Cee au UK ou SDM en France.
  • Pop drill : La recette séduit des artistes mainstream. Le hit “Body” de Russ Millions & Tion Wayne (2021) est le premier morceau drill à atteindre le sommet des charts anglais (source: Official Charts).
  • Influence sur d’autres genres : On retrouve l’esthétique drill dans l’électro, l’afro trap et même les musiques latines – Anuel AA a par exemple sorti un morceau “Drill” en 2021.
  • Recyclage et hybridation : samples de tube pop, intonations venues de la house UK, etc.

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Critiques et controverses : la drill, miroir de la société ?

Impossible de parler de la drill sans évoquer le débat : apologie de la violence ou témoignage social ? En Angleterre, plusieurs artistes ont vu leurs clips censurés ou retirés de YouTube par la police londonienne, au motif qu’ils inciteraient à la rivalité entre gangs (BBC).

En France aussi, des titres font débat. Mais le phénomène dépasse la simple provocation. Pour beaucoup de fans et analystes (voir Les Inrockuptibles, 2022), la drill est d’abord un exutoire, une chronique réaliste – parfois dure – de la vie dans certaines zones urbaines.

Autre effet de la drill : démocratisation de la “street culture”. Aujourd’hui, les codes de la drill se diffusent jusque dans la mode, le langage (expressions, argot), et même la pub.

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La drill, future colonne vertébrale du rap mondial ?

Si la drill explose autant, c’est qu’elle a su parler à une génération dévorée par l’instantanéité des réseaux sociaux mais aussi avide d’authenticité brute. Elle a replacé la figure du producteur au cœur du hit, comme dans les golden years du rap US.

Mais c’est surtout sa capacité à évoluer, à hybrider et à s’exporter (jusqu’au Japon ou au Brésil, avec des scènes locales hyper dynamiques) qui fait de la drill bien plus qu’un simple effet de mode. Selon Spotify Data 2023, le rap drill représentait plus de 6% des playlists rap mondiales actives, contre 2% en 2019 : une progression spectaculaire pour un sous-genre jadis cantonné à quelques quartiers.

Et alors que certains y voient déjà l’essoufflement du genre, chaque année ou presque voit débarquer une nouvelle vague d’artistes et de beats refresh, et de passerelles vers la pop ou la chanson urbaine. La drill a surtout prouvé qu’elle n’est plus seulement une case du rap : c’est un ADN, une façon de raconter, de produire et même de consommer la musique aujourd’hui.

Une page s’est tournée : la drill n’est plus un phénomène underground à surveiller, mais une force créative ancrée, capable d’influencer jusqu’aux tubes radios les plus formatés de la décennie. Que le banger vienne de Londres, de Brooklyn ou d’Aubervilliers, une chose est sûre : impossible désormais de parler rap sans parler drill.

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